mercredi 21 décembre 2011

Exils, mouchoirs et grigris




Est-ce l’éclairage blafard que les Fêtes de fin d’année jettent sans ménagements sur le monde qui m’entoure, est-ce cet article du journal le Devoir qui m’a récemment (et de manière inattendue, voire un peu brutale) rappelé la part sombre de mes relations avec ma terre natale ? Sont-ce les six années d'immigration avec leurs illusions, désillusions, luttes et embûches ? Voilà que je prends conscience, sans émotion excessive (ce qui m'étonne), que je suis désormais une exilée de l'intérieur, et que mon seul pays est imaginaire,  qu’il est celui où je croise, virtuellement ou en personne, ceux que j’aime, d'ici ou de là-bas. 

Ni Québécoise (mais l'ai-je déjà été, moi à qui l'on rappelait sans cesse ses origines tunisiennes lorsque je vivais là-bas?), ni Tunisienne (née à Chicoutimi, élevée à Montréal, atterrie en France), ni Française (là, désolée, rien à faire)... à la fois ancrée là, et là, et là, mais par des ancres qui pendent au bout de cordes tout effilochées.

Selon les sages paroles de mon père, le polymigrant, on peut aussi porter son chez-soi contre soi, comme un mouchoir de poche que l’on sort où que la vie nous mène pour y installer tout son monde. Un mouchoir de poche que l’on replie avec tout ce qu’il contient quand on en a assez et qu’on a envie d’aller voir ailleurs si on y est.

Il me disait aussi, souvent, lorsque j’étais jeune, ces mots de René Char, que depuis je porte en moi comme autant de grigris : «  Impose ta chance, serre ton bonheur et va vers ton risque. A te regarder, ils s'habitueront. »

Certains ne s’habitueront jamais, ai-je envie d’ajouter aujourd’hui. Mais peu importe. L’autre en vous, celui qui vous regarde avancer et reculer et bifurquer depuis toujours, avec le regard impitoyable de celui qui ne s’en laisse pas conter, l'autre impitoyable, l'autre spectateur de vous en vous, l'autre juge imperturbable de vous en vous, lui, s’habituera. 

Et alors même l’exil, risque des risques, grand déracineur, arracheur d’appartenances, brouilleur de toutes vos pistes, même l'exil tiendra docilement dans votre mouchoir.