lundi 30 janvier 2017

La lumière de l’autre (lettre à une amie musulmane)

We need more light about each other. Light creates understanding, understanding creates love, love creates patience, and patience creates unity.”
― Malcolm X


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Chère S.,

J’ai envie aujourd’hui de parler au monde de notre amitié, plongée que je suis dans le désarroi devant ce qui s’est passé cette nuit dans une mosquée de ma terre natale, le Québec. Une fusillade qui a fait plusieurs morts. La haine a donc frappé là-bas aussi, et je ne ferai pas semblant d’en être surprise. Cette haine et la souffrance qu’elle cause, et dont nous voyons tous les jours et jusqu’au sommet de l’état la manifestation ici, en France, est le sujet d’une grande conversation commencée entre nous il y a maintenant plusieurs années, fil qui est aussi celui sur lequel s’est construite une amitié qui m’est infiniment précieuse.

J’ai envie de dire au monde combien par l’ouverture à l’autre, le désir de la vraie rencontre, nous avons toi et moi défié tant de statistiques. Moi, l’immigrée québécoise non-croyante et toi, la Française de confession musulmane, n’étions sans doute pas destinées à devenir amies. Non pas parce que de ta part ou de la mienne, il y aurait eu la moindre défiance de l’une envers l’autre, mais parce que dans le monde qui est le nôtre, tout est organisé pour que les rencontres entre les femmes comme toi et les femmes comme moi n’aient presque jamais lieu. Sauf quand, et c’est heureusement notre cas, on choisit sciemment de faire fi de ce qui nous est assigné comme zone de confort – une zone de confort qui pourrait aussi s’appeler « zone du même », et qui n’est la  tasse de thé d’aucune de nous deux !

Bref, nous sommes allées l’une vers l’autre et avons construit une relation où ce qui nous lie et ce qui nous distingue sont, à parts égales, des outils qui renforcent notre amitié.

Tu es croyante et pratiquante, je suis athée, il y a entre nous ce mystère de ta foi pour moi et de ma non-foi pour toi, il y a notre regard sur le monde et nos principes qui se rapprochent à un point vertigineux, à tel point que le mystère que nous sommes en partie l’une pour l’autre est source de curiosité et de soif d’apprendre plutôt que de peur, de rejet ou de haine.

Nous nous sommes rencontrées par un hasard qui n’en est peut-être pas un, quand j’ai eu besoin d’une « nounou » pour mon fils et que j’ai vu ta petite annonce à cet effet, quand après t’avoir rencontrée mon mari et moi avons tout de suite annulé nos rendez-vous avec d’autres nounous potentielles parce que nous avons tout de suite su que c’était toi.

Pendant les années qui ont suivi, notre relation s’est développée, tout doucement, jusqu’à devenir de l’amitié. Pour mon fils, ta famille est devenue une deuxième famille.

Quand je t’ai rencontrée, le fait que tu sois musulmane et portes le voile n’a a aucun moment été une question, ni pour moi, ni pour mon mari, ni pour mon fils évidemment. Le fait que tu portes le voile est devenu un sujet entre nous à partir du moment où, naïve que j’avais été jusque-là (ou volontairement aveugle, parce que c’était plus commode ?), j’ai compris ce que cela t’avait coûté, ce que cela te coûtait, et vu la terrible violence dont toi et les autres femmes qui ont fait ce choix êtes les victimes. Nous en avons passé, des heures à discuter de cela, et de sa place dans notre société. Nous avons partagé des lectures sur le sujet. Nous avons cherché des moyens de résister à ça : la solidarité, l’engagement social, le rire. Tu es l’un des esprits les plus fins que j’aie eu l’occasion de rencontrer, et de notre rencontre, de notre amitié, je sors infiniment plus riche. Grâce à toi j’ai perdu un peu de mon ignorance et de mon inculture. Grâce à toi, à ton mari, aux amies à toi que j’ai pu croiser ou rencontrer brièvement, j’ai appris sur l’islam des choses qui en ont fait, à mes yeux, une belle et émouvante lunette sur le monde. Une lunette qui, finalement, n’est pas très différente de la mienne.

Pour tout cela, et parce que l’idée du combat que nous menons ensemble est une des plus grandes sources d’espoir de ma vie, je te remercie.

Shukraan, mon amie. Restons fortes, et unies.