mardi 22 mars 2011

On peut sortir la fille du Québec, mais pas le Québec de la fille...

Depuis quelque temps, j’étais convaincue que ma québécitude s’était un peu assoupie. Normal, je suppose : faire des racines ici, me fabriquer de nouvelles attaches, a nécessité que j’oublie un peu le Québec en moi, et toute l’histoire qui vient avec… histoire compliquée puisque je suis, pour citer l’expression du père d’un ami, une « Québécoise de souk » et qu’il arrivait souvent, notamment dans le cadre de mon travail d’écrivain, que l’on se fasse un devoir de me le rappeler.
Quoi qu’il en soit, ces derniers temps, le Québec en moi s’était tu, il se tenait tranquille, il ne se sentait plus jamais interpellé, par qui ou quoi que ce soit. Normal, je suppose : j’en ai avais assez d’être ici, dans tous les domaines, la « Québécoise de service », assez d’être invitée, reçue, lue, perçue, pour et par ça. C’est que mon Québec intérieur, le vrai, il faut le dire, n’a pas été souvent sollicité ici pour ce qu’il est - c'est-à-dire une part de mon identité parmi mille autres. Le Québec qu’on cherche le plus souvent, ici, à aller chercher chez moi et à faire découvrir aux compatriotes Français curieux, c’est un Québec de carte postale et de conte de fées givré, un Québec que je n’ai jamais vu de ma vie, pas même en rêve (car il faut vraiment être non-Québécois pour aller s’imaginer un truc pareil !)
Tout ça pour dire que les circonstances de la vie et le besoin de vivre mon exil en France de manière plus « constructive » comme on dit, et sans avoir toujours au fond de la gorge le sentiment douloureux de mon altérité, ont eu pour conséquence de me voir moins fréquenter les événements littéraires où le Québec, à travers moi, était représenté comme un riche exotisme à découvrir, ou à mieux connaître parce que méconnu (à cause du conte de fées givré).  
Je pensais que ça ne me manquait pas. Je pensais avoir réglé un problème. Je me demandais non pas forcément si j’étais encore québécoise, mais en quoi j’étais encore québécoise.
Dimanche dernier, au café de La Coupole, à Paris, invitée par l’Association Femmes-Monde et l’Académie des Lettres du Québec à une rencontre autour des femmes auteurs de chez nous, j’ai tout compris. Tout m’est revenu : la nature de ma québécitude (profondément liée à une certaine conception de la/ma féminité), la complicité avec les collègues de chez nous, et surtout une sorte d’équilibre intérieur dans l’exil.
Pour  la petite Abdelmoumen, bientôt 39 ans, auteur de 5 romans dont au moins 3 sont restés plutôt obscurs, vous imaginez ce que ça a pu être d’arriver là, à Paris, dans cette salle chargée d’histoire, et de voir les adorables et brillantissimes Annie Richard et Georgiana Colvile (les deux têtes de Femmes-Monde sur lesquelles il y aurait un roman à écrire) m’accueillir comme une sorte de reine, aux côtés de Lise Gauvin (ex-directrice de thèse qui a avec moi des attentions maternelles auxquelles je suis très sensible,) avant de voir venir vers moi, grand sourire, main tendue, nulle autre que Madeleine Monette, au visage si parfait qu’on aurait envie d’illico sortir une caméra pour tourner un film dont elle serait l’héroïne (je la vois à la place de Madeleine Sologne dans L’éternel retour de Cocteau et Delannoy, ou dans un Clouzot, ou un Godard).
Mais je n’avais encore rien vu. Pour cette sorte de « conférence lecture » à trois, je me trouvais à côté des deux plus grandes dames de la littérature québécoise, celles dont j’ai enseigné les livres, des Intouchables, du genre si on m’avait dit un jour que j’allais me retrouver avec mon verre de vin rouge à lire mes textes et à parler de mon métier comme elles, à côté d’elles, je n’y aurais pas cru… Nulles autres que Marie-Claire Blais et Denise Desautels… et assis là, juste en face de moi, non, c’est bien lui, ce n’est pas une illusion, Naïm Kattan… ne me demandez pas comment j’ai fait pour garder ma contenance, je ne le sais pas. Ce doit être parce que je suis une femme québécoise et que toutes ces années en France ne m’ont pas enlevé ce réflexe incontrôlable de ce que j’appellerais la « convivialité égalitaire » même avec les plus grands des plus grands, ce « front tout le tour de la tête », ce culot gentil. (Pour les amis Français : avoir du front tout le tour de la tête, en québécois, c’est être bien culotté. Si vous ne savez pas qui sont les auteurs dont je parle, Monette, Blais, Desautels, Kattan, c'est très très mal, faites des recherches sur Internet tout de suite ou je vous tire les oreilles!)
Je ne sais pas exactement par où commencer pour dire tout ce que cela m’a fait d’être là, et tout ce qui s’y est passé. Je peux déjà décrire les deux Grandes Dames aux côté desquelles j’étais assise, et la teneur de leur grandeur qui avait à voir non pas seulement avec la célébrité ou la reconnaissance dont elles jouissent à juste titre, mais avec cette classe, cette infinie délicatesse avec moi, la petite collègue inconnue, cette écoute méditative des textes que j’ai lus et des idées que je tentais d’avancer, cette manière de me faire sentir, au moment de prendre à leur tour la parole, qu’elles m’avaient bien écoutée, qu’elles voyaient ce que je voulais dire, que nous étions faites du même bois… Bois de rose pour Marie-Claire, tout en délicatesse et en discrétion, bois d’ébène pour Denise et sa manière de rendre lumineuse la noirceur… et moi, me demanderez-vous ? Genre bois un peu vert d’érable de Tunisie ? Peu importe!
Ce qui importe, c’est elles et notre rencontre avec ces organisateurs et ce public qui a reçu en pleine gueule et avec le sourire ce que c’est que d’être une femme auteur du Québec… et moi qui l’ai reçu en pleine gueule avec eux, moi qui à force de distance et d’exil l’avais un peu oublié. Comment dire, par ricochet, en voyant Denise et Marie-Claire, en les écoutant surtout, ce que je serai toujours mais qui n’a pas tellement encore sa place ici, en France, m’est revenu ; en écoutant Lise Gauvin parler du rôle des femmes dans le monde littéraire québécois, et entendant tous ces échanges avec un public qui n’avait pas peur de se faire « brasser » (entre autres par votre toute dévouée qui est connue pour ne jamais ménager les Français, et encore moins depuis qu’elle les aime), m’est apparue d’abord sous les yeux, puis au fond de moi pour s’y déployer comme une fleur, une part de mon essence : cette manière si particulière, à la fois sérieuse et désinvolte, engagée et insouciante, convaincue et légère, que nous avons de vivre ce qui est au yeux de tout ce qui n’est pas le Québec une double minorité, celle de femme et de Québécoise.
Du coup, c’est simple, je récidive bientôt, puisqu’une librairie lyonnaise parle de peut-être me recevoir fin juin dans le cadre d'une fête en l’honneur du Québec et que j’ai fort envie d’y aller non pas tant pour faire la Québécoise de service que pour faire encore un peu de cet affectueux brasse-Français dont j’ai la spécialité… et puis pour ne pas laisser mourir le Québec en moi, celui y qui reste obstinément logé, lové, sans rancune même si je l’ai quitté.

p.s. L’Association Femmes-Mondes, à découvrir absolument, se réunit un dimanche par mois à la Coupole, à Paris. On peut trouver les infos sur leur site (http://femmesmonde.com/) mais je m’assurerai de les afficher ici tous les mois.

 P.S.2: Je n'ai pas oublié le texte promis sur Le Masque et la plume... à suivre dans les prochains jours!


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